Un bel exercice d’avoir pu travailler sur un article particulièrement réaliste du Dr Laurent Alexandre, paru le 20 décembre 2018, dans le quotidien du médecin et titré « le médecin de demain doit devenir le patron d’une PME High Tech »

Il y aborde les principaux enjeux d’une médecine qui évolue immanquablement vers de nouvelles règles éthiques, légales et organisationnelles avec un appel à « une diminution drastique du nombre de médecins ».

Hérésie ou réalité ? Alignons les arguments de BHCT avec ceux développés par le Dr Laurent Alexandre, pour tenter de répondre à une question délicate qui n’a pas manqué de faire réagir les followers sur les réseaux sociaux.

1.- La transition transhumaniste

Dans la frise chronologique de l’histoire de l’humanité, la révolution numérique annonce le passage à une nouvelle époque marquée par le règne de l’«evidence based » au sens de la démonstration scientifique.

Une période de mutation où le traitement accéléré des données, par superordinateur, permet d’accroitre considérablement la vitesse de démonstration de la validité d’une innovation et de la réalité de ses impacts socio-économiques, environnementaux et scientifiques sur base d’un traitement de données en temps réel.

Par conséquent, c’est le progrès qui s’accélère et, avec lui, la production de justifications “scientifiques”, bien utiles aux dirigeants privés & politiques, pour faire passer un ensemble de décisions relevant avant tout d’une recherche d’efficience et de stabilité économique.

Les approches «evidence based » et « science/data driven » sont généralement appréciées des médecins, ce qui corse encore le débat.

Leur fascination face aux progrès rapides de la médecine et des technologies & techniques médicales est un fait mais de là à reconnaitre que ceux-ci pourraient conduire à une forme de concurrence directe entre la machine et l’homme, il y a un pas.

L’argument généralement soulevé par le corps médical est que « l’Art de Guérir » résulte d’une combinaison subtile d’expériences, d’émotions et de connaissances qui maintiennent le médecin en position de supériorité par rapport à la machine.

Sans être totalement dénué de fondement, l’argument ne pèse cependant plus très lourds lorsque les missions médicales concernent certains actes médicotechniques tels que la radiologie non interventionnelle ou l’anatomo-pathologie, par exemple ou diagnostic comme la rétinographie ou l’ECG simple.

A la limite, c’est le médecin traitant qui sortira le mieux ses épingles du jeu dès lors que son approche reste multifactorielle et proche de la vie quotidienne du patient.

2.- Les médias-sociaux.

Au-delà des querelles de protection de données alimentant régulièrement les débats, l’avènement des médias-sociaux ont eu un impact considérable sur l’Art de Guérir. Le patient lambda s’informe et les géants du numérique lui en donne les moyens.

Non pas que l’information disponible soit toujours de première qualité mais, en attendant, le patient n’est plus un enfant à materner que l’on tient loin des « décisions d’adultes ». 

Les géants du numérique et, dans leur traces, les géants du pharma et multiples start-up entendent, du reste, poursuivre leur lancée d’une politique d’approche B2C en soins de santé, s’adressant directement au patient.

L’exemple le plus marquant est l’engouement qu’ils ont réussi à créer, en dehors de tout remboursement, de l’objet connecté et certifié. Offrant au consommateur client/patient la perception d’un accompagnement médicalisé 24/24 et le sentiment, dans une grande mesure fondée, d’une possible identification de potentiels problèmes de santé, ils sont parvenus créer un lien de confiance suffisant par des approches “User-friendly” et de marketing efficaces.

Si Apple a ouvert la danse, avec sa montre validée FDA en septembre dernier, la FDA poursuit aujourd’hui une politique relativement agressive « FDA approved », pour les objets connectés et applications médicales, opposant lobbys industriels & médicaux.

La politique de « value based care », défendue par le secteur hospitalier et les syndicats médicaux US, qui vise à justifier le prix élevé des prestations par la qualité supérieure et mesurée des soins, ne suffira pas très longtemps à donner le change.

L’intention des géants numériques de reprendre en main une part du marché des soins de santé est aujourd’hui officialisée el la conquête se fera en relative autonomie des hôpitaux et des médecins.

3. Durabilité.

L’enjeu de la durabilité des systèmes de soins de santé prônant un accès universel et qualitatif est gigantesque:

–       D’une part, le progrès entraîne une augmentation des potentialités de soins permettant de rêver d’un corps jeune et sain le plus longtemps possible. De la médecine prédictive, basée sur l’analyse sinon la sélection/correction génomique à l’implantation de puces cérébrales, les progrès sont tels que les limites semblent infinies.

 –     D’autre part, les générations actuelles sont confrontées à l’explosion de pathologies modernes découlant de modes de vie particulièrement malsains qui ont été adoptés, au nom du confort, par des consommateurs peu avertis.

 –       Enfin parce que les pyramides d’âges, dans les pays aux systèmes de soins de santé les mieux développés, s’inversent avec un vieillissement généralisé de la population.

La demande est donc exponentielle et tous les calculs actuaires démontrent que garantir l’accès universel aux soins de santé, dans les mêmes conditions pour tous, est une illusion qui grandit avec le progrès.

La durabilité, pour peu qu’elle puisse être atteinte, demandera une responsabilisation partielle et progressive du citoyen dans ses choix santé; la possibilité de conditionner, dans des mesures socialement acceptables, l’accès aux soins de santé; et le droit pour le tiers-payeur, de recourir à des fournisseurs moins chers que les médecins & les institutions de soins, lorsque c’est médicalement, socialement et humainement possibles. L’ère est au partenariat entre le monde marchand et non marchand pour maintenir un système de soins de santé le plus équilibré possible.

Les missions de soins réservées jusqu’ici aux médecins et institutions de soins risquent de se limiter, à moyen terme, aux urgences, aux interventions chirurgicales nécessitant un médecin formé et spécialisé et une installation adéquate, ainsi qu’aux soins intensifs et de fin de vie et, enfin, à certains diagnostics et/ou traitements spécifiques. En outre, le médecin restera une personne demandée par un certain nombre de patients cherchant une personne humaine.

La durabilité ne plaide cependant pas totalement en faveur de l’appel du Dr Laurent Alexandre notamment en raison de l’augmentation exponentielle de la demande offrant une place suffisante pour deux systèmes parallèles.

Le shift préventif devrait néanmoins apporter une autre correction.

4. Le shift préventif.

Le débat n’est pas neuf et pour cause, malgré le risque connu et dévoilé, qui écoute réellement les avertissements tant qu’aucun problème de santé ne se pose concrètement, surtout :

–       avec l’assurance qu’en cas de problème, le tiers-payeur prendra en charge les dépenses liées aux soins & tout ou partie de la perte de revenus ;

–       en l’absence de solutions crédibles d’accompagnement ;

–       en sanctionnant relativement faiblement les géants agro-alimentaires, tabac et alcool dont la contribution à l’équilibre économique général reste incontournable mais dont l’incitation à un mode de vie malsain l’est tout autant.

Néanmoins, ici encore, l’écosystème change. La réduction sensible des remboursements dans la plupart des systèmes de soins de santé avec une responsabilisation plus importante du patient; l’incitation marchande à agir sur ses paramètres santé aux travers d’objets connectés, ludiques, faciles d’utilisation et en vente libre à prix abordable; les appels citoyens à uns consommation plus responsable, incluant la consommation médicale et les promesses d’une médecine prédictive (génomique) performante permettant d’identifier les prédispositions génétiques de certaines pathologies sont autant d’éléments qui génèrent un réel changement d’approche, permettant une meilleure maitrise de la demande.

Partant ce ces quatre points, l’appel du Dr Laurent Alexandre est réaliste sur le fond sans être nécessairement prématurée. N’oublions pas que le médecin de demain est formé aujourd’hui, pour une carrière appelée à durer plus de 40 ans et qu’il devra y trouver son compte.

Et l’éthique dans tout ça ? Le débat risque d’être long, très long même. Les premiers OGM sur le maïs datent des années septantes et le débat n’est toujours pas clos. Que dire alors des OGM humain, de la sélection génétique d’embryons ou des PMA à utérus artificiel. Ici encore, is serait difficile de ne pas confirmer les affirmations du Dr Laurent Alexandre.

Et pour autant, BHCT ne peut s’aligner intégralement sur ses conclusions.

Si le besoin de médecins en activité se réduira, sans doute, à moyen terme, le nombre de médecin ayant des carrières partielles pourraient bien augmenter substantiellement. Une carrière professionnelle de 10 à 20 ans représente une plus-value non négligeable pour le médecin décidant de se réorienter vers le monde marchand.

Par ailleurs, il est probable qu’il faille encore un certain nombre d’années pour atteindre une acceptation sociale d’un mariage possible entre le secteur non marchand des soins de santé et le monde marchand, sans qu’une tel mariage ne soit assimilé à une marchandisation pure et simple des soins. Durant cette période, un écraimage pourrait intervenir de manière spontanée et progressive si les règles de marché étaient appliquées notamment aux travers de contrôle des consommations médicales prescrites, mais il n’est pas anormal que certains gouvernements lui préfèrent un numérus clausus tant en raison du coût sociétale des études de médecine que d’une justice sociale entre jeunes diplômés.

Le diplôme de médecine, offrira néanmoins des potentialités bien plus importantes que celles généralement imaginées de “devenir médecin”

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